"Entrez dans le jeu" au Musée Ethnographique de Hanoi

Petit clin d'oeil à mes anciennes collègues du service petite enfance: le concept « Entrez dans le jeu » devenu un classique de la ville de Saint Martin d'Hères, semble avoir migré à Hanoi. A moins qu'il ne nous soit venu de là? C'est ça aussi, la mondialisation.

Ma logeuse, Huong, m'a gentiment proposé d'aller avec elle et son petit garçon au Musée Ethnographique de Hanoi, pour lequel j'avais manifesté de l'intérêt. «Comme ça tu te perdras pas, et tu apprendras à y aller», me dit-elle. Mais je n'avais pas bien compris pourquoi elle y allait avec son fils: le garçon est plutôt du genre vif argent. Dans un musée, si bien conçu soit-il, je l'imaginais assez impatient.

J'ai compris en arrivant là bas: l'espace qui entoure le musée était empli de jeux pour enfants, que ne dédaignaient d'ailleurs pas les jeunes gens et les adultes. Il s'agissait de remettre à l'honneur les jeux traditionnels de différentes ethnies montagnardes, venues de loin pour la circonstance.

Le gouvernement du Vietnam fait grand cas de ce qu'on appelle ici les ethnies minoritaires. La presque totalité des habitants est d'ethnie viet (on dit aussi kinh). Aux frontières du pays, dans les montagnes surtout, vivent une cinquantaine d'ethnies différentes, représentées chacune par un très petit nombre d'habitants. Le musée ethnographique expose leurs costumes, très différents les uns des autres, leurs objets quotidiens ou rituels, explique leurs coutumes et traditions. Lors de la fête du Têt, ces villageois lointains ont été invités à se rendre au musée pour faire connaître leurs jeux traditionnels aux petits citadins.

Le premier jeu que nous rencontrons, c'est la danse des bambous. Tenus par des jeunes filles, les bambous au ras du sol claquent et se déplacent rapidement en rythme avec la musique. Il faut sauter dans les interstices et ça n'a pas l'air facile. Mais les chutes font partie de la rigolade. Plus loin, des jeunes circulent sur des échasses. Huong me demande comment ça s'appelle en français (jamais perdre une occasion de s'instruire). Là aussi, la jeunesse se marre bien.

Huong m'entraîne: elle a repéré un spectacle de marionnettes sur l'eau. J'ai déjà vu celui de Hanoi, un must touristique, mais celui là est en plein air. Dans une pièce d'eau de dix à quinze mètres de diamètre (l'eau boueuse cache les longues tiges qui permettent de manipuler les marionnettes), un décor en forme de pagode fermée par trois stores placés côte à côte est installé avec, devant, simulant une cour, un espace délimité par des bambous au ras de l'eau avec une sorte de porche très minimaliste. 20 000 Dongs l'entrée, un peu moins de 1 euro. On passe le « guichet », des fauteuils en plastique sont disposés en deux ou trois rangs sur la moitié du pourtour de la pièce d'eau. Huong installe son petit garçon, lui recommande de rester avec moi, et disparaît: en tant que guide touristique, elle connaît pas mal de monde ici, bonne occasion de bavarder.

Beaucoup d'enfants autour de nous, des mères, des jeunes filles, quelques hommes, avec chacun(e) deux ou trois petits bien emmitouflés car il ne fait pas chaud. Quelques fillettes qui ont des jupes virevoltantes se promènent un peu (pour les montrer?). Une autre a ramassé deux baguettes de bambou, elle fait sa petite musique perso sur la barrière qui borde la pièce d'eau. Les manipulateurs, dans l'eau jusqu'à la ceinture, s'affairent puis disparaissent derrière les stores. La musique des gongs et des tambours avertit les enfants un peu distraits que c'est maintenant qu'il faut regarder. En apéritif, deux minuscules personnages joutent sur une barre transversale du « porche »Ils se précipitent l'un contre l'autre, encore et encore, les gosses rigolent, un des deux finit par tomber dans l'eau, éclat de rire général.

Puis c'est l'épisode fumigènes: on entend claquer les pétards, des lumières filent au ras de l'eau selon une trajectoire sinueuse, une épaisse fumée s'élève. Mais, contrairement au spectacle en salle de Hanoi, elle n'incommode pas les spectateurs, elle se dissipe à mesure dans le ciel.

On verra apparaître ensuite, par tableaux successifs, plusieurs des grands classiques des marionnettes sur l'eau. Le combat entre deux buffles a beaucoup de succès. A un moment, deux serpents annelés aux couleurs contrastées évoluent à la surface de l'eau, se poursuivent, se tiennent compagnie. Le gamin me dit: «serpent»: sa mère lui apprend quelques mots de français, celui là il l'aime bien. Plus tard, deux personnages essaient, avec une épuisette minuscule, d'attraper d'énormes poissons qui plongent dans l'eau et en ressortent avec de grands bouillonnements. A tour de rôle, ils ratent les poissons et coiffent leur comparse de l'épuisette à la grande joie des enfants.

Ce théâtre de marionnettes sur l'eau est différent de celui que j'ai vu à Hanoi. Beaucoup plus rustique, pas du tout sophistiqué, il diffuse une atmosphère blagueuse et bon enfant qui correspond bien au jeune public. J'imagine qu'il donne une idée assez juste de ce que devait être dans les campagnes ce divertissement humoristique et populaire, joué à la surface des rizières boueuses par des paysans bricoleurs qui se perfectionnaient en échangeant entre eux techniques, scénarios et idées de marionnettes. Nombre d'entre elles, en plus ou moins bon état (dame, elles ont servi!) sont exposées dans une case.

Nous continuons notre promenade. Ici, plusieurs jeunes, avec des raquettes en bois, jouent avec un volant de badminton: un simple cylindre de bois dans lequel sont plantées quatre plumes. Plus loin, une planche, posée en équilibre sur un sac de terre devient une balançoire. Debout à chaque extrémité, deux enfants tentent de la faire basculer en avançant et reculant, puis en sautant. D'autres montent. Les adultes autour donnent des conseils, tiennent les plus petits pour les empêcher de tomber, puis rentrent carrément dans la danse, sautant gaiement eux aussi. Ailleurs, ce sont des toupies à ficelle de plusieurs formes différentes suivant les ethnies aux quelles elles appartiennent. Sur la terre battue vaguement herbeuse, c'est pas gagné.

Un jeune homme frime (quelques jeunes filles en vue?) en traversant d'un bond un petit canal qui doit quand même faire presque deux mètres de large. J'attends le « plouf », mais non, il connaît son affaire. Pour bien montrer qu'il ne s'agit pas d'un hasard, il recommence.

De l'autre côté, deux très hautes perches, au moins 5 mètres je pense, ornées chacune d'une sorte de cible de papier, rouge et jaune pour aider à visualiser leur cime, se font face à deux ou trois mètres de distance. Il faut lancer en l'air, entre les deux perches, le plus haut possible, une flèche, ornée comme un cerf volant d'une sorte de queue de comète. Une foule joyeuse, groupée de part et d'autre suit attentivement les tentatives et manifeste admiration ou réprobation selon les performances des uns et des autres. La flèche retombe, tous se précipitent, c'est à qui l'attrapera pour la relancer.

L'enfant commence à fatiguer, nous partons à la recherche de la consolation standard: une glace, 5000 dongs. La couleur est bizarre, mauve pale, mais ça n'a pas l'air de le déranger.