"Un complexe ferrique naturel", le Ferramol

C'est ce qui est écrit sur la boite d'anti-limaces que je viens d'acheter. avec plein de mentions secondaires plus ou moins grosses. La moins visible -j'ai eu du mal à la trouver, on dirait que c'est pas un bon argument de vente- "Utilisable en Agriculture Biologique". En très visible, claquant comme le nom lui même, la marque, célèbre pour faire pousser en une nuit le gazon, avec des moyens qui n'ont sûrement rien à voir avec l'agriculture biologique. Mais faut bien se mettre au goût du jour, même en trainant les pieds.

Les limaces et moi, c'est une longue histoire. Je n'avais pas ça dans mon ancien jardin, ou alors de manière épisodique. La première année, ce fut la stupeur: rien mais vraiment rien de ce que je pouvais repiquer ne tenait plus de trois jours. Faut dire que mon jardin, je l'avais fait labourer dans une ancienne prairie, bordée par un petit ruisseau. Et que, dans les premières années, entre ma paresse naturelle et mon amour des fleurs sauvages, je manquais de rigueur dans l'entretien. Je manque toujours de rigueur, mais quand même j'ai fait d'énormes progrès, merci les limaces.

J'ai commencé, benoîtement, par les ramasser pour les éloigner. Comme dans le conte du lièvre et du hérisson, je les retrouvais presque instantanément à la même place. Mes enfants rigolent encore d'une idée qui leur avait beaucoup plu: je leur donnais vingt centimes, puis dix centimes (de francs) par limace ramassée. Eux étaient euphoriques, moi consternée. Autant vider la mer à la petite cuillère.

J'ai bien sûr essayé le métaldéhyde. Mon grand père utilisait ça, des plaquettes blanches, genre bonbon vichy, d'alcool solidifié pour les réchauds, qu'il écrasait avec du son. Plus besoin de faire cette dangereuse cuisine, ça se vendait désormais en granulés bleu fluo, et c'était considéré comme compatible avec le jardinage bio. Seulement, avec ce truc, les victimes bavent interminablement en se traînant partout et mes limaces à moi étaient tellement nombreuses qu'elles ravageaient, en crevant, les semis que je voulais protéger. Beurk!!! De toute façon, c'est désormais incompatible avec le bio, trop de dégâts chez les auxiliaires naturels, crapauds, hérissons et aussi chez les animaux domestiques, malgré l'amertume rajoutée destinée à les éloigner de ce poison.

Les trucs classiques, genre bière en soucoupe, où elles sont censées se noyer, mais il m'aurait fallu un service 44 pièces, cendre répandue qui ne marche que par temps sec, oui mais s'est par temps humide qu'elle sortent, les limaces, aucun de ces moyens sympathiques n'était à la hauteur du fléau.

Mon beau père, assez sarcastique pourtant en ce qui concerne le bio, m'avait fait découvrir en 1980 une revue "Les quatre saisons du jardinage" qui venait de se créer. J'en étais une abonnée de la première heure. C'est là que j'ai découvert un petit bouquin qui est devenu mon livre de chevet. Et, à l'heure où on lit normalement les pensées de Pascal ou les mémoires de Montaigne, je potassais "Les limaces sous contrôle" édité par "Terre Vivante". J'y ai appris des tas de choses dont je n'avais pas la moindre idée, sur les moeurs des limaces, leurs cycles de vie, leurs goûts alimentaires, leurs lieux de repos, leurs heures de sortie.

D'abord, je me suis aperçue que mon jardin, conçu comme il l'était, était un concentré de tout ce qu'il faut éviter. Le ruisseau, enfoui dans les herbes folles. Les énormes touffes d'hémérocalles qui en bordaient toute la partie haute. Le désherbage très aléatoire. La technique de paillage que je pratiquais sur le conseil de ma chère revue mais qui se révélait tout à fait contre-indiquée. La proximité immédiate de la prairie. En résumé, j'avais en guise de jardin une véritable station d'élevage de gastéropodes. On pouvait y trouver de l'humidité par les plus fortes chaleurs, des irrégularités de terrain pour pondre et cacher ses oeufs, une base arrière en quelque sorte de toute beauté. Dont de véritables commandos sortaient en rangs serrés le matin, le soir, et chaque fois qu'il pleuvait un peu.

Au fil des années, j'ai tenté de remédier à tout ça: le ruisseau, rien à faire. Sauf le séparer du reste par une bande herbée régulièrement (?) tondue. Dans le bas du jardin, à la frontière de la prairie, bande herbée tondue également. J'ai diminué le nombre des touffes d'hémérocalles, mais je refuse de me séparer des jonquilles. Or, c'est dans leurs feuilles, après une lumineuse et abondante floraison que s'engraissent les petits limaçons destinés à devenir d'énormes limaces rouges. Que faire? Je les ramasse à la main par temps pluvieux. Quinze ou vingt par touffe de jonquille...

J'ai ainsi, plus ou moins, assuré les frontières. A l'intérieur de ces limites, je mène une lutte absolue: aucune limace ne doit y vivre, aucune ne doit y PONDRE. Les oeufs de limaces sont très mignons, de petites perles nacrées de quelques millimètres de diamètre, et les coquines savent les enfouir dans la moindre fissure pour les protéger durant l'hiver. Pas de fissure: ratisser, à l'automne, chaque plate-bande récoltée. Une habitude à prendre, comme celle de toujours travailler en remontant la terre à cause de la pente qui entraîne imperceptiblement tout mon jardin vers le bas. Mettre en bordure les cultures que les limaces aiment moins (pomme de terre, poireaux, oignons) et isoler au milieu d'un petit no-limace's-land les cultures sensibles (semis, salades et choux fraîchement repiqués).

Ce qui ne me dispense pas de visites matinales quotidiennes. Juste avant le lever du soleil, bien repues, elles retournent vers leurs abris: à moi de les intercepter. Parfois, cyniquement, je les leurre: un pti tas d'herbes coupées ou d'épluchures où elles iront se nicher sans méfiance et où je les débusquerai facilement. Les plants de bourrache ou de cardère que j'ai laissés ça et là remplissent le même rôle, je sais les y trouver blotties contre la racine. Parfois, je repère une feuille fraîchement dévorée: la coupable n'est pas loin. Je soulève une ou deux pierres, une motte de terre, la voilà tapie dessous.

Des années de lutte intégrée m'ont tout au plus permis de... ne pas désespérer complètement. Quelque jours d'absence ou de paresse, mes ennemies reprennent le dessus. Un îlot de verdure laissé en déco, les voilà qui s'y installent durablement. Des framboisiers mal désherbés? une aubaine. Bon, je sais maintenant que je ne gagnerai jamais. J'en ai pris mon parti. On doit, nous autres humains, partager la terre avec toutes les autres espèces. Pourquoi pas avec les limaces?

Quand même, j'espère que le Ferramol me permettra de garder quelques salades?

Commentaires

1. Le samedi 2 mai 2009, 16:50 par pièce détachée

Ici, outre les somptueux escargots et limaces de toutes tailles et toutes couleurs, il y a cette année dans le jardin deux lapins de garenne en pleine forme, chassés de leurs terriers habituels par des massacreurs de haies.

Les regarder batifoler dans le soleil levant, trahis par leur derrière tout blanc (les cons !), c'est un instant de paradis dont la chatte elle-même reste médusée. Il est inconcevable de les déranger en quoi que ce soit, ni maintenant ni plus tard.

Les alentours immédiats du jardin étant occupés par de grands champs (blé, colza, orge), les lapins ont tout naturellement trouvé refuge ici. Les deux issues de leur terrier sont en plein dans l'herbe, où pousse le jeune trèfle dont ils s'empiffrent. Ils jouent à se cacher derrière les stères de bois, sous l'énorme pivoine arbustive, dans le grand buis, sous l'arbre à laurier.

Les carottes n'ont pas encore émergé du semis. Qui les mangera ? Et les exquises batavias joufflues (dites "de Grenoble", à feuilles bordées de rouge) ? Et les haricots verts croquants ? Les potimarrons ?

Pour détourner leur attention des délices à venir, j'envisage de disposer un peu partout des tas de luzerne et de carottes fourragères.

Ce sera très joli, pour sûr, mais cela suffira-t-il ?

Le monde entier retient son souffle.

2. Le dimanche 3 mai 2009, 13:04 par vieil anar

@ pièce détachée, joli morceau en solo, extrait d'une ode printanière, plutôt alléchante..! On sent le jardinier affûté, peut-être un brin dilettante, (potimarons ne prend qu'un "r", me semble-t-il...!?)....mais tu n'as pas traité du ferramol, mon ami, sujet essentiel de ce billet, et moi non plus par la même occasion...!

Bof, les odes printanières, c'est bien, mais la limace tueuse, dévoratrice, chlorophage, c'est autre chose... de bien pire, que le AHbH1 N1, qui n'est là que pour engraisser les labos....!!!

Je suggèrerais, quand même à mc, (salut mc!), la cendre, le sable fin et le vinaigre, tous, recettes de grand-mères, mais éprouvés...!

Bises à toi, mc, maîtresse des lieux!

3. Le dimanche 3 mai 2009, 19:31 par jardin

Mais si, vieil anar, potimarron prend deux "r", mais une telle erreur n'entacherait pas la réputation d'un jardinier, après tout on peut le cultiver sans l'écrire.

Je suis impressionnée par la philosophie de pièce détachée... deux lapins de garenne dans son jardin et il ne sort pas son fusil? A priori, haricots, potimarrons et même carottes s'en tireront bien... tant qu'il y aura des salades... et des choux.

Pour ma part, j'ai expérimenté le passage de chevreuils sur une plate bande amoureusement chouchoutée de scaroles et frisées... dévastation totale, et ce qu'ils n'avaient pas mangé a pourri. Bon, j'ai pas sorti le fusil non plus.

Quant à la cendre, bien sûr que j'ai essayé, fiasco total vu que la pluie la rend inefficace, alors qu'elle décuple les nuisances. Tous ces remèdes poétiques ne valent que face à une invasion amicale et modeste. Quand on en est à trois, cinq, dix limaces ou plus par pied de laitue, faut passer à la catégorie supérieure.

Pour l'instant, le Ferramol est considéré comme compatible avec l'agriculture biologique. Ce qui ne m'empêche pas de l'utiliser avec parcimonie, je n'ai pas oublié qu'on nous avait certifié que le Round Up l'était.

4. Le vendredi 15 mai 2009, 09:36 par Still

Lire vos billets sur le jardin est un plaisir. Et un plaisir utile qui plus est. La reconquête du mien, longtemps différée et rendue hasardeuse par un emploi du temps chargé, me laisse parfois dans le doute sur l'issue de l'entreprise. J'apprécie la façon dont vous évoquez la présence quotidienne au jardin... et en plus vous êtes adepte de la Grelinette... alors...

5. Le dimanche 1 janvier 2012, 20:04 par Flore

et bien si vous aviez un truc contre les attaques de limaces horticoles, minuscules limaces entre gris et noir, parceque j'ai eu ça l'an passée. Juste après la période sécheresse.

Sinon l'été prochain je pense utiliser la fougère aigle comme paillage, on verra bien !

6. Le dimanche 1 janvier 2012, 21:15 par cultive ton jardin

Ce sont les pires, hélas! elles se faufilent entre la terre et la tige des plantes, et sont ainsi à pied d'oeuvre et indétectables. Mais le Ferramol devrait être très efficace sur elles.

J'en ai eu une fois, en quantité ahurissante, dans un autre jardin, suite à l'introduction d'un fumier qui en était infesté. C'est en inspectant mes plantations très tôt le matin, avant le lever du soleil, que j'ai découvert ces ravageuses: jusqu'à quatre par tige de haricot à peine germé!

Ici, j'en ai très peu. Elles apparaissent quand j'ai été trop efficace dans ma lutte contre les grosses brunes, on dirait qu'elles se font concurrence.

7. Le mercredi 4 janvier 2012, 11:22 par Flore

oui j'ai mis des granulés ! je vois que vous connaissez ! . Au début je les ai retirées à la main, la nuit avec le lampe de poche, sur les pousses de haricots justement. Mais après la période sèche du printemps, aux premières pluies, là j'ai retrouvé le persil tout bouffé, plus que les tiges , et j'ai cru que c'était des lapins, j'ai même soupçonné un rat gondin que j'avais vu perdu dans le pré de mes voisins ( l'étang n'est pas à coté)...avant de m'apercevoir que c'était des limaces en nombre dingue. C'est curieux je n'ai pas mis de fumier, je mets un produit fabriqué dans ma région (biofertil, fumier de bovins composté) et mon compost maison aussi. Merci à vous, bonne journée

8. Le mercredi 4 janvier 2012, 14:03 par cultive ton jardin

Vérifie ton compost maison... Théoriquement, il faut le mettre à l'abri en fin de saison, quand tu vois les limaces commencer à s'accoupler. Tu peux aussi brasser ton compost en période de gel. les oeufs qui y seraient enterrés ne résisteraient pas.

Et au printemps, surveille tes semis...