Par cultive ton jardin le lundi 10 janvier 2011, 09:45 - Poisons
Je vous ai déjà parlé, ici ou là, et encore là de la revue Prescrire. Elle vient d'acquérir, suite au scandale du Médiator, une réputation méritée dans le grand public. Cette réputation de sérieux, elle l'avait déjà, mais jusque-là de manière plutôt confidentielle. Elle est accessible sur abonnement aux médecins, et les médecins qui font l'effort de l'acheter et de la lire ne sont pas si nombreux que ça. C'est pourtant une quasi encyclopédie, d'une fiabilité peu ordinaire. Quelques articles sont en accès libre sur son site.
Elle coûte cher, pas difficile de comprendre pourquoi: d'une part, elle fait appel à de nombreux experts médicaux dont elle vérifie qu'ils ne sont pas porteurs de conflits d'intérêts (par exemple qu'ils ne sont pas employés par ailleurs par les laboratoires dont ils auraient à évaluer les produits, ce qui, quoique inadmissible et porteur de graves dérives, n'est pas si rare notamment dans les agences de surveillance sanitaire). Par ailleurs, elle est exempte de TOUTE publicité, ce qui est bien la moindre des choses. Comment évaluer correctement une spécialité pharmaceutique dont on fait par ailleurs la publicité et dont on dépend donc financièrement? Mais ça aussi, ça coûte cher, puisque les autres revues médicales sont gavées de ces pubs qui leur interdisent toute critique un tant soit peu sérieuse, et peuvent ainsi se distribuer à des prix bradés, voire même gratuitement.
Jusque-là, les labos stigmatisés par leur petit bonhomme (un cousin du bonhomme de Télérama qui vous indique les films à éviter et ceux à ne manquer sous aucun prétexte) se gardaient bien de moufter. "D'abord, ils vous ignorent" disait Gandhi. A quoi bon attirer l'attention sur une critique dont la diffusion est tellement restreinte que même les médecins sont peu nombreux à y avoir accès? Or, les récentes mentions de la revue dans les médias dominants, journaux nationaux et même télévision ont changé la donne. Prescrire commence à être connu. Donc à être, potentiellement, plus dangereux qu'auparavant. Jusque là, c'était "la voix qui crie dans le désert", et qui mettait de longues années avant d'obtenir le retrait de tel médicament dangereux, quand elle y arrivait. Le fait d'accéder à une renommée auprès du grand public en fait un interlocuteur incontournable, les agences chargées de notre protection (pffff...) ne pourront plus que difficilement ignorer ses avis.
La première attaque publique vient d'avoir lieu (merci Rezo.net, le Portail des Copains). La technique d'étouffement des "Lanceurs d'Alerte" sous les procès est bien connue. Le pot de fer attaque, peu importe qu'il gagne ou perde. Il a les moyens de payer, il a les moyens de tenir, il a les moyens de s'acharner. Comme pour Denis Robert, comme dans "L'argent de la vieille", celui qui tient le plus longtemps parce qu'il a le fric, celui-là gagne toujours, qu'il ait pour lui ou contre lui le droit ou la chance, peu importe, il tient, il reste.
Le médicament qui est l'objet de ce combat, c'est le Protopic°. Ça, c'est son pseudo, pour aller dans le grand monde. En privé, il porte le doux nom, peu commercial il est vrai, de "tacrolimus". Ici, faut que je vous explique la différence entre molécule de base et marque déposée. Prescrire, entre autres combats (et ya de quoi faire) insiste auprès des médecins et autres professionnels pour qu'ils utilisent plus systématiquement le nom de la molécule à la place du nom commercial. Pour éviter les confusions notamment. Le médicament que vous ingurgitez a ainsi deux noms: celui de l'état civil, le générique, celui qui désigne sans confusion possible la molécule, le principe actif. Et un pseudo commercial, qui peut varier selon les pays entre autres. Faut que ça sonne bien, un pseudo, et puis ça peut permettre de noyer un peu le poisson: en cas d'interdiction dans un pays, les cobayes que nous sommes ne feront pas facilement le lien, et nous ingurgitons dans notre belle France de nombreuses spécialités qui sont, sous d'autres noms, interdites depuis plusieurs années (c'était le cas du Médiator°) en Espagne, aux USA, et ailleurs. Soyons honnêtes, ça joue aussi dans l'autre sens, la thalidomide, de sinistre mémoire, aujourd'hui strictement interdite aux femmes enceintes, n'avait pas fait de victimes en France, n'y étant pas (encore?) autorisée.
Les laboratoires Astellas Pharma accusent donc Prescrire de "dénigrement". Et, en effet, Prescrire n'est pas gentil avec leur charmant tacrolimus alias Protopic° Dès 2003, la revue écrit en effet: "Trop d'inconnues pour utiliser cet immunodépresseur par voie cutanée". Prescrire est toujours mesuré et prudent dans ses avis. "Trop d'inconnues" est une expression à prendre chez eux très au sérieux. En 2004, Prescrire revient à la charge, indirectement, à propos du tacrolimus dermique "Quand les agences du médicament ne remplissent pas correctement leur mission de concourir à l'amélioration de la prise en charge des patients, c'est rendre service aux patients et à la collectivité que de le signaler publiquement". Ouh là, moi, j'aurais pas aimé. Pas gentil pour le labo, pas gentil pour les agences. Mais bon, apparemment, personne s'offusque.
En 2007, Prescrire enfonce le clou, toujours à propos du tacrolimus: "Les immunodépresseurs en pommade présentent une balance bénéfices-risques défavorable avec notamment un risque de cancers de la peau. Mieux vaut ne pas les utiliser".. "Risque de cancers de la peau". Alors là, ami lecteur, t'as enfin compris. "Balance bénéfice/risques", "ne remplissent pas correctement leur mission", "trop d'inconnues", bah, te fallait un dictionnaire. Là, non, tout le monde comprend beaucoup plus vite. C'est vrai que risquer un cancer de la peau pour soigner une crise d'eczéma, même importante, c'est un peu ballot, non? C'est ça que ça veut dire "balance bénéfice/risque": tout médoc a, potentiellement, des effets secondaires non désirés, parfois graves. la balance s'effectue alors entre la gravité et la fréquence de ses effets indésirables, et la gravité de la pathologie à soigner. Et bien sûr, l'existence par ailleurs d'autre méthodes de soin moins dangereuses. Vous risqueriez pas la mort ou "simplement" une atteinte cardiaque pour perdre quelques kilos, même pas pour soigner un diabète... sauf si on avait soigneusement négligé de vous mettre au courant, n'est-ce pas?
Or, non seulement Protopic est toujours sur le marché, mais en 2009, ses indications sont élargies à la prévention (mouarffff!). Ce qui met le petit bonhomme Prescrire très en colère. Il crie "Pas d'accord!", le petit bonhomme, exactement comme son cousin Télérama crie "Ah non!" devant un porno sado-maso imbécile et de mauvaise qualité. Et il rajoute, au cas où on serait dur de la feuille, un fameux coup de pied avec une gélule au bout. Parce que lui, il a des pieds, contrairement au cousin Télérama qui doit de contenter d'une grimace.
Donc, le labo, pas content, attaque en justice. Et comme je l'ai précisé plus haut, même s'il ne gagne pas, il atteint son but, il pompe le fric et l'énergie d'une revue qui a pourtant beaucoup d'autres labos (et agences) à fouetter. Par ailleurs, une campagne de dénigrement modérée et discrète se met tout doucement en place, tapie derrière les éloges: on parle dédaigneusement de site ringard, on sort le mot "ayatollah", on prétend "nuancer" leurs propos, alors qu'ils sont, justement, toujours très nuancés... quand il y a matière à nuance, bien sûr.
Amis lecteurs, je ne suis qu'une toute petite blogueuse jardinière, avec une audience microscopique. Mais parmi vous, il y a des blogueurs, je crois, nettement plus "influents". Ne laissez pas la revue Prescrire se faire étriller par un méchant. Ne laissons pas les "lanceurs d'alerte" en général payer au prix fort leurs audaces d'utilité publique. Faites passer!