Les casseurs sont de retour
Par cultive ton jardin le vendredi 15 octobre 2010, 09:59 - Cette France là - Lien permanent
Première manif en mai 68. Manif étudiante, les ouvriers sont venus plus tard. On est nombreux à être encore "mineurs", la majorité est à 21 ans. Mes souvenirs sont flous, sauf pour une scène bien précise.
Je suis dans les quatre ou cinq premiers rangs. Par militantisme? Par curiosité? Par hasard? Un rang de fantômes noirs masqués genre Dark Vador nous barre la rue qui va vers la préfecture. Une rue très large. Les premiers rangs ne sont pas chauds pour avancer davantage, ils laissent un espace de sécurité, quelques mètres, mais qui se rétrécit peu à peu: derrière, ça pousse, et pour cause: ils ne les voient pas, eux, les robots impassibles qui nous font face. Impassibles? Robots? pas tant que ça, car j'en repère un, souvenir ahuri, peut-être reconstruction postérieure ou "plan de coupe" pris ailleurs, qui caresse amoureusement son bidule, je veux dire son "bâton de défense" (vous saviez pas ça, les ptis malins qui rifougnent au fond de la classe?).
Derrière, ça continue à pousser, nous on résiste comme on peut. Les bas côtés toujours un peu clairsemés se sont remplis et ça pousse encore. Puis, brutalement, je jure qu'il ne s'est RIEN passé, ou alors peut être que le premier rang a fini par "toucher" les intouchables, c'est le déferlement: des coups de matraque qui pleuvent, des explosions, la panique, des jeunes qui courent partout dans la fumée. Un militant qui gueule: "dispersez-vous dans le parking, ils respectent les voitures!"
Moi, je crois bien que je suis restée là, clouée sur place par mon incrédulité, j'ai encore eu le temps de voir une dame sortir d'un immeuble, affolée, "qu'est ce qui se passe, qu'est-ce qui se passe?", et un flic, au passage, distraitement presque, pan sur la tête à la mémé, comme ça tu poseras pas des questions idiotes, non mais! puis j'ai dû refluer, comme la presque totalité de mes copains, vers le parking protecteur. Ce coup de matraque gratuit, sur la tête d'une femme qu'on ne pouvait en aucun cas prendre pour une manifestante, j'ai jamais oublié.
C'est pour ça que je rigole (tristement parfois), quarante ans après, quand j'entends nos majestés des mouches nous jurer que notre admirable et exemplaire police n'a fait que riposter à des casseurs, que c'est eux qui ont commencé.
Il faisait quoi, le jeune qui a eu le visage "légèrement" fracassé par un tir de flash ball?