Par cultive ton jardin le mercredi 23 mars 2011, 09:11 - Poisons
Il commence bien, le dernier bouquin de Fabrice Nicolino:
"Un spectre hante désormais le monde de l'écologie, et c'est celui de la mignardise"
La mignardise? C'est à dire?
"Il faut être gentil, constructif, bienveillant, positif, bien élevé".
Vous savez quoi? Je me sens un peu visée. C'est tellement plus sympa d'être sympa. Sauf qu'après la lecture du bouquin, me vient une image, celle d'une fable de La Fontaine, "Le lion amoureux" je crois. Le lion amoureux demande la main d'une bergère. Son futur non-beau père, n'osant le mécontenter d'un refus frontal, le persuade amicalement de se laisser rogner les ongles et limer les dents. Il suffira ensuite de lâcher sur lui quelques chiens pour s'en débarrasser sans mal.
Fabrice Nicolino annonce plus loin la couleur, sa couleur, que ceux qui suivent régulièrement son blog et ses bouquins connaissent très bien: jamais content, toujours fâché. Il a pour cela un bon motif: "Il est à mes yeux certain que la crise de la vie sur terre commande tout. Devrait commander toutes les actions humaines". Tout est dans ce "devrait". Car, manifestement, la crise de la vie sur terre est très loin de commander toutes nos actions. Or, il y a urgence, et nous perdons un temps précieux, qui nous rapproche du point de non retour.
Encore une citation?
"Je fais partie de ceux qui veulent refonder le monde sur des bases humaines. Un tel programme est devenu extrémiste, mais je n'y suis pour rien."
Tout au long de presque 300 pages, le livre va nous présenter les acteurs du Grenelle de l'environnement. Les "officiels", d'abord. Jouanno, Kosciusko-Morizet, Borloo. Portraits au lance flammes. Au passage, il rappelle ce que furent les accords de Grenelle en 1968: la fin d'un beau feu d'artifice, finie la récré, bouquet final et tout le monde à la niche. Puis élections, une écrasante majorité de droite submerge l'assemblée nationale. Les étudiants, dont beaucoup ne votaient pas, la majorité était alors à 21 ans, en sont restés sur le cul, comme devant le spectacle d'un immense prestidigitateur, l'émerveillement en moins. La rage plutôt. Du coup, la résurgence de ce mot de Grenelle prend tout son sens.
Puis il passe à quatre des "invités", quatre puissants mouvements écologiques ayant participé à ce Grenelle. WWF, Greenpeace, la Fondation Hulot et France Nature Environnement. Leur histoire, leur évolution, leurs oeuvres.
Aux amis du WWF, Fabrice Nicolino déconseille le chapitre 3. Je le leur conseillerais plutôt. car, tant qu'à donner de son temps et de son énergie, et de nombreux militants de base en donnent beaucoup, à une institution, autant savoir ce qu'elle en fait in fine. Je vais pas tout vous raconter. Sur deux thèmes, Fabrice Nicolino est implacable et indiscutable. Ce qui lui donne pas mal de légitimité sur les autres sujets. Le soja "responsable" (et transgénique), il en a déjà parlé dans le bouquin intitulé "Bidoche". Pour faire court, nous nourrissons notre bétail avec des aliments volés aux pays pauvres. Les biocarburants, c'est dans "La faim, la bagnole, le blé et nous" qu'il en a détaillé les ravages: nos voitures se mettent, elles aussi, à affamer le monde. On peut rajouter le sucre en monoculture, l'huile de palme, grosse consommatrice de forêts primaires, le ciment. Le tout assaisonné de plein de liaisons dangereuses avec de grandes transnationales en quête de respectabilité. Comme il a l'air triste, le petit panda, quand je termine le troisième chapitre...
Greenpeace a une belle histoire. Et qui résonne fort avec l'actualité. Au point de départ, un "Marine's" qui démissionne quand il apprend Hiroshima, et se lance, avec sa femme Sylvia, dans une croisade pacifiste. Ils protestent activement (deux mois de taule quand même, hé?) contre les essais nucléaires atmosphériques des îles Marshall. C'est un marin, alors il fait avec ce qu'il connaît, les bateaux. Le relais sera pris par d'autres, sur terre et sur mer, toujours contre le nucléaire et les dangers qu'il fait courir, surtout en zone sismique. Jusqu'aux "cinglés du Phyllis Cormack" (je crois que Fabrice Nicolino a une tendresse pour les cinglés) qui seront à l'origine du nom et du mythe. Comment expliquer que, partie de militants qui ont fait beaucoup avec peu, une association dérive jusqu'à ne pas faire quelque chose dont elle a pourtant les moyens? Je vous laisse découvrir. Sur l'Afrique, sur les biocarburants, Fabrice Nicolino, qui a travaillé avec eux, n'a pas réussi à les motiver. Pourquoi?
Sur Nicolas Hulot, Fabrice est presque indulgent. Après tout, il a "bougé", alors qu'il avait une position tranquille, confortable, installée, dont il lui suffisait de toucher les dividendes. Au sens figuré, mais aussi au sens propre, car ses "liaisons dangereuses", industrielles, médiatiques et politiques sont innombrables et (in)conséquentes. Liens qu'il n'a pas rompu en se convertissant à l'écologie, liens qu'il imagine utiles à son combat alors qu'il sont incompatibles avec lui. Ah, tiens, quelque chose qui me parle en tant que femme: Nicolas Hulot a rassemblé un "Comité de veille écologique", composé de vingt sept membres. Dont une femme. Blancs, mâles, vieux et riches. Je triche un peu, riches, j'en sais rien, et ça se voit pas sur la photo. Mais notables, sûrement.
À propos de France Nature Environnement, (dont il fait partie par l'intermédiaire de l'association "Bretagne Vivante"), Fabrice Nicolino écrit:
"Chacun sait que les nitrates jouent le rôle premier dans la prolifération des Algues vertes. Or, 96% des nitrates qui arrivent sur le littoral breton proviennent des engrais agricoles et des déjections des animaux d'élevage. Mais FNE préfère parler de la lessive et des particuliers, dont l'effet sur les marées vertes est dérisoire." Et la récente actualité semble le démentir: FNE vient de se faire un joli coup de pub en sortant six affiches, dont deux censurées à l'affichage. Une surtout, qui concerne les algues vertes, et qui fera une belle carrière sur internet. Le petit garçon jouant dans la "verdure". Sauf que, du coup, on comprend mieux pourquoi ils ne le faisaient pas. Subventions menacées, procès, pressions locales plus que virulentes voire procès ET pressions...
"Un fil à la patte"? Ou une lourde chaîne? Ou, plus simplement, la corde qui peut aussi bien "soutenir" que pendre?
Dans la suite du bouquin, il sera question d'être à la fois aveugles, sourds et muets, de "couteau sans lame", de développement insoutenable. Un bon résumé de la situation:
"...pleurnicher chaque matin sur la destruction de la planète, avant d'aller s'attabler le midi avec l'industrie, dont le rôle mortifère est central, puis d'aller converser avec ces chefs politiques impuissants,pervers et manipulateurs qui ne pensent qu'à leur carrière avant de signer les autorisations du désastre en cours."
Selon Fabrice Nicolino, le salut pourrait venir (s'il vient) des jeunes, qui sont l'avenir (et qui vivront plus longtemps que nous dans ce monde de fous), et des gueux, paysans pauvres d'Afrique ou de l'Inde, "mingong", vagabonds chinois qui sont 200 millions, Inuits, Indiens d'Amazonie, indigènes des ïles Andaman. Pour ce qui est de notre petit pré carré, hexagonal je veux dire; il ne jette pourtant pas complètement l'éponge:
"Voici venu le moment de vérité. Il va falloir se lever, ou se taire.
Vous aurez compris que ce livre m'a passionnée et bouleversée. Je dois rajouter un élément important, qui est la marque de fabrique des bouquins de Nicolino: une impressionnante documentation, très précise, historique et actuelle, beaucoup de noms, de faits, de dates. Ce qui aurait pu être de l'esbroufe en d'autres temps est désormais une marque indiscutable de sérieux: des procès innombrables guettent les imprudents, et on peut passer dix ans de sa vie à galérer pour une histoire de virgule. Demandez à Denis Robert.